ETE 2008
Chers Québécois et
Québécoises,
(Idem pour vous
Français)
Bonjour, c'est moi,
la pluie.
Je voudrais répliquer
à la campagne de dénigrement que vous menez à mon égard. Je sais que vous me
détestez depuis toujours, et cet été encore plus que jamais. Ben savez-vous
quoi? Je suis encore plus tannée* de vous autres que vous êtes tannés de moi!
C'est fort. Ça fait 400 ans que j'endure, aujourd'hui, je déborde !
Je ne suis plus
capable de vous entendre vous plaindre de moi : «Ah ! pas encore de la pluie !
Maudite pluie ! Y fait pas beau ! » C'est quoi, ça, il ne fait pas beau ? C'est
tout à fait subjectif. Pourquoi le soleil, c'est du beau temps, et la pluie du
mauvais temps ? Vous irez en Éthiopie, au 100e jour de sécheresse, voir s'ils
trouvent qu'il fait beau. Laissez-moi vous dire que, lorsque j'arrive là-bas,
c'est moi, le beau temps.
Pourquoi êtes-vous en
adoration devant le soleil ? Le soleil vous brûle, vous donne le cancer et vous
tue. Vous êtes absurdes. Vous vous déshabillez quand il fait soleil et vous
vous habillez quand il pleut ! Gros quotients ! C'est le contraire qu'il faut
faire.
Le soleil, c'est du
feu. La pluie, c'est de l'eau. Vous habillez-vous pour prendre votre douche?
Votre peau aime l'eau. Votre peau haït le feu. Vivez en harmonie avec votre
corps. Quand il pleut, au lieu de vous couvrir et de vous réfugier dans la
maison, enfilez votre maillot et venez dehors. Pas besoin de crème et d'indice
de protection. Vous n'êtes jamais autant en sécurité dehors que lorsqu'il
pleut. Bien sûr, un éclair peut venir vous chatouiller un peu. Mais là, pas
besoin d'avoir peur, franchement ! Avez-vous déjà gagné à Loto-Québec ? Non ?
Ben vous ne serez pas foudroyé non plus.
J'ai un cœur, moi
aussi. Comment pensez-vous que je me sens quand j'entends quelqu'un dire : «On
a eu un été pourri, il a plu tout le temps» ? C'est pas parce qu'il pleut qu'on
ne peut pas avoir un été merveilleux. Que fait l'homme quand il fait soleil? Il
joue au golf. Que fait l'homme quand il pleut? Il fait l'amour. Vous n'allez
pas me dire, messieurs, que vous préférez jouer au golf plutôt que faire
l'amour à votre femme ? Et vous, mesdames, vous n'allez pas me dire que vous
préférez que votre mari joue au golf plutôt qu'il vous fasse l'amour ?
Il n'y a rien de plus
romantique, de plus sensuel que moi. Quand on tombe amoureux, on dit qu'on a un
coup de foudre, pas un coup de soleil. Le coup de soleil, ça vous rend rouge
comme un homard, puis vous pelez pendant deux semaines. Le coup de foudre vous
rend heureux et léger.
Pourtant, vous
chantez le soleil : «Soleil ! Soleil !» Vos grands poètes écrivent même des
odes à la neige: «Ah ! que la neige a neigé...» «Mon pays, c'est l'hiver.» Pour
moi ? Rien. À part une toune** de Vilain Pingouin. Rien pour remonter un ego.
Voulez-vous bien me dire ce que je vous ai fait pour que vous aimiez même la
neige plus que moi ? C'est du racisme ! Après que je suis tombée, vous n'avez
rien à faire. Vous allez dehors et vous sifflez. Pas de pelletage, pas de
millions à dépenser pour tout ramasser avec des camions. Niet. Votre gazon est
plus beau. Et l'air sent meilleur. Mais pas le moindre merci. Pas la moindre
poésie.
Je suis tannée des
petites météorologues qui parlent de moi comme si j'étais la peste ou Ben Laden
: «On ne vous dira pas ce qui s'en vient pour la fin de semaine ! C'est
effrayant ! Faut surtout pas que vous soyez fâchés contre moi. Je n'y suis pour
rien !»
On le sait bien, que
tu n'y es pour rien. T'es pas Zeus! T'es juste une jolie fille qui lit des
cartons. La pluie est un effet spécial qu'aucun Stephen Spielberg n'est capable
de reproduire. Au cinéma, parfois, ils font pleuvoir sur un coin de rue, et ça
leur coûte un bras! Wow! Moi, je suis capable de pleuvoir de Gaspé à Gatineau!
Pour pas une cenne*** ! Profitez-en au lieu de gueuler!
Y a juste Gene Kelly
qui a compris qu'on peut avoir du fun**** sous la pluie. Si toutes les belles
filles se promenaient en costume de bain quand il pleut, il y aurait plus de
gars sur les terrasses les jours de pluie que les jours de soleil.
Quand il mouille,
c'est le temps de laver votre char*****, ça ne peut pas être plus écologique.
C'est vrai, vous n'arrêtez pas de dire que l'eau est rare, qu'il faut
l'économiser, il y a même des polices pour surveiller ce que le voisin fait
avec son boyau. Et quand cette manne vous tombe du ciel, arrose vos jardins,
nettoie vos trottoirs, gratis, vous trouvez le moyen de râler.
Ça va faire !******
Le monde change, ben vous allez changer. Le virage vert, vous allez le prendre
pour vrai. Vous n'arrêtez pas de dire que vous êtes verts et vous déprimez
quand il pleut. C'est pas logique. Qu'est-ce qui rend la planète verte ? Moi !
La pluie ! Le soleil la rend jaune caca. Le réchauffement de la planète, ce ne
sera pas ma faute à moi, ça va être la faute du soleil, que vous aimez tant.
Vous allez disparaître à cause du soleil, pas à cause de la pluie !
Avant, vous aimiez
les gros chars qui polluent, maintenant vous aimez les petites caisses
électriques. Avant, vous aimiez le soleil, maintenant vous allez aimer la
pluie. Le beau temps, ça va être moi. Le mauvais temps, ça va être lui.
Sinon, je m'en vais.
Ou plutôt, je reste!
* être tanné :
fatigué
** une toune : une
chanson
*** une cenne :
prononciation populaire pour "un cent" = un centième de dollar
**** avoir du fun :
du plaisir
***** un char : une
voiture
****** ça va faire :
ça suffit
Texte de M. Stéphane
Laporte, La Presse
ETE 2009
Il
faut que je remette ça encore. L'été dernier, j'avais pondu une chronique
pro-pluie. C'est la litanie des commentaires négatifs qui m'y avait poussé.
Partout où on allait, on n'entendait que ça :
-
Maudite pluie !
-
C'est un été de cul !
-
C'est un temps de chien !
-
Des vacances de merde !
Ma
chronique n'a rien donné. Cet été encore, la pluie est aussi populaire que
Vincent Lacroix*. On s'enrage. On l'insulte. On la conspue. Elle est
responsable de tous nos malheurs.
Tel un séparatiste qui ne se décourage pas et reprend le
bâton du pèlerin pour rallier les gens à sa cause, je vais une fois de plus
tenter de vous réconcilier avec la pluie. Même si ma cause semble aussi perdue
que celle de Falardeau**.
Ce matin, on va faire une thérapie de groupe. On va se
reprogrammer. On va changer notre attitude face à la pluie. Cessons d'avoir
peur. De capoter*** à la moindre ondée. On n'est pas fait en chocolat !
Pourtant, à la première goutte qui tombe, on s'en va se cacher comme si c'était
un missile coréen qui venait du ciel. C'est de l'eau. Juste de l'eau. Quand il
se met à pleuvoir, les gens dans leur piscine, déjà mouillés des pieds à la
tête, se dépêchent d'entrer dans leur maison. Pourquoi ? Ils sont déjà dans 10
pieds d'eau. Et que font-ils une fois à l'abri ? Ils s'en vont prendre leur
douche. Absurde.
La pluie n'est pas une catastrophe naturelle. Au
contraire, c'est un bienfait. En Afrique, on danse de joie quand il pleut. Ici,
on déprime. On arrête tout. On se cache. On hiberne.
Pourtant, on aime l'eau. Quelle est la destination
préférée des Québécois, l'été? La mer. Tous les Québécois rêvent d'aller sur le
bord de la mer. Ben la pluie, c'est la mer qui vient à eux. Au lieu d'être une
mer horizontale, c'est une mer verticale. Le résultat est le même, ça
rafraîchit. Et ça apaise.
Combien de Québécois font des heures de route pour voir
les chutes du Niagara ? Pour observer des tonnes d'eau descendre d'un rocher,
mais quand un orage sévit devant leur fenêtre, ils ferment les rideaux et
regardent la télé. Décidez-vous ! Aimez-vous ça voir de l'eau ou pas ? Quand il
pleut sur toute la ville, c'est pas mal plus gros que les chutes du Niagara.
C'est un effet spécial gigantesque. Quand le cinéma se met en tête de
reproduire une averse, les cracks d'Hollywood parviennent à créer l'illusion
sur un coin de rue seulement. La nature, elle, réussit à pleuvoir sur une
province, en entier, en même temps. C'est impressionnant. Prenons le temps de
l'admirer.
Pendant une averse, si les gens sont si pressés d'entrer
chez eux, c'est pour ne pas mouiller leurs vêtements. Pourquoi ne font-ils pas
comme à la mer? Qu'ils les enlèvent ! Imaginez : si chaque fois qu'il pleuvait,
les gens enfilaient leur maillot de bain et sortaient dehors, on ne verrait
plus la pluie de la même manière. Je connais une gang de mononcles**** qui
prieraient pour que l'été soit pluvieux.
Montréal est en manque de touristes. Si toutes les
Montréalaises se promenaient en bikini, les jours de pluie, les Américains se
précipiteraient chez nous. Le Festival du string attirerait plus que le Jazz et
Juste pour rire ensemble.
Au lieu de tout annuler lorsqu'il pleut, organisons des
activités qui n'auraient lieu que lorsqu'il pleut. En cas de soleil, vous serez
remboursé. Guy Laliberté*****, qui s'en va dans l'espace faire un happening
poético-social pour sensibiliser la planète à l'importance de l'eau, devrait
donner l'exemple, en créant le Cirque de la Pluie. Sans chapiteau. On jongle,
on se contorsionne et on descend d'un foulard sous la pluie. C'est comme O,
mais version nature.
Un enfant aime la pluie. C'est inné en lui. Un enfant peut
passer une journée à jouer avec un boyau d'arrosage. À se verser de l'eau sur
la tête. À courir à travers les jets. La pluie, pour lui, c'est un cadeau du
ciel. La plus grosse des fontaines. Ce sont ses parents qui l'obligent à
rentrer. Ce sont ses parents qui le conditionnent à fuir la pluie. À s'en faire
une ennemie. Redevenons enfants. Apprenons à vivre sous la pluie. À jouer avec
elle. À danser comme Gene Kelly.
Michael Schumacher était un meilleur pilote les jours de
pluie. Qui sait si vous n'êtes pas un meilleur golfeur, joggeur ou joueur de
tennis lorsqu'il pleut ? Pas besoin de se crémer durant deux heures pour passer
une journée sous la pluie. La pluie ne brûle pas. La pluie ne fait pas plisser
des yeux. La pluie ne donne pas le cancer. Enlevons nos chapeaux. Si elle fait
pousser le gazon, elle fait peut-être pousser les cheveux. Sait-on jamais ? La
pluie a peut-être plein de pouvoirs thérapeutiques que nous ignorons car jamais
nous nous exposons à elle.
Cessez de dépendre du canal météo. Cessez de choisir vos
activités selon le temps qu'il fait. Agissez beau temps, mauvais temps. On peut
faire un BBQ sous la pluie. Quand il fait soleil, vous mangez sous le parasol.
Mangez sous le parasol quand il pleut. Ce n'est pas plus malin. Un parasol, ce
n'est rien d'autre que le cousin snob du parapluie.
Faisons de Montréal la ville des gens heureux même quand
il pleut. Le soleil, il est en nous.
Bonne deuxième semaine de vacances de la construction, quand
même !
*Vincent
Lacroix : homme d'affaires canadien impliqué dans une affaire de fraude financière
**
Pierre Falardeau : cinéaste, écrivain et militant
indépendantiste québécois
*** capoter : basculer,
échouer, rater
**** mononcle : de mon oncle
: personne un peu ringarde
***** Guy Laliberté :
fondateur du Cirque du Soleil
****** vacances de la
construction : période de deux semaines
durant laquelle la quasi-totalité des travailleurs œuvrant sur les chantiers de construction bénéficient
d'un congé obligatoire
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